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« Salo ou les 120 journées de Sodome », de Pier Paolo Pasolini, une allégorie du « nouveau fascisme »

Retrouvez tous les épisodes de la série « Des films très politiques » ici.
Au début des années 1970, Pier Paolo Pasolini (1922-1975) s’attelle à adapter au cinéma des œuvres du patrimoine mondial. Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972) et Les Mille et Une Nuits (1974) forment un ensemble qu’il baptise « Trilogie de la vie » et perçoit comme un geste de protestation face au retour en force de la censure bourgeoise. Avec sa troupe d’acteurs amateurs, le cinéaste exalte la nudité des corps, dont il célèbre la pureté et l’innocence, le sexe comme élan vital. Il y livre sa vision du peuple, notion qui le hante et qu’il oppose à celle de « masse ». La trilogie célèbre « un monde populaire, ni barbare ni tragique, au contraire : vivace, gai, comblé de joie de vivre, de faire l’amour », déclarait le réalisateur dans Pier Paolo Pasolini. Entretiens (1949-1975) (Delga, 2019). Pour le cinéaste marxiste, il s’agit de célébrer la seule chose qui résiste encore aux griffes du capitalisme triomphant : « Le corps : voilà une terre qui n’est pas encore colonisée par le pouvoir. »
La « Trilogie de la vie » est un triomphe public et critique. Un succès forcément suspect pour cet homme tant habitué aux scandales, obstiné à penser contre son pays et son époque. Il s’agira de tout défaire. Surtout qu’en quelques années sa vision des corps, de la jeunesse et de la sexualité a eu le temps de basculer – le prochain film rectifiera sa pensée.
Pour ce faire, Pasolini décide d’adapter Les Cent Vingt Journées de Sodome (1785, publié en 1904), du marquis de Sade, auteur réputé inadaptable et que, par ailleurs, il n’aimait pas : à de nombreux égards, ce film est donc un défi. Il en déplace l’intrigue au cœur de la république fasciste de Salo (1943-1945) proclamée par Mussolini. Là, quatre riches notables (le Duc, l’Evêque, le Juge et le Président), aidés de miliciens italiens et de soldats allemands, enlèvent neuf jeunes garçons et autant de jeunes filles de la région pour les emprisonner dans un somptueux palais italien. Durant quatre jours, ils seront soumis à la jouissance sadique de leurs geôliers.
Froid comme la mort, fidèle au texte sadien, Salo ou les 120 journées de Sodome (1975) se découpe en quatre parties : le Vestibule de l’enfer, le Cercle des passions, le Cercle de la merde et celui du sang. Pasolini y dépeint une violence qui n’a rien d’improvisé : elle y est bureaucratique, parfaitement organisée selon un infrangible mode opératoire. Des Narratrices vont raconter des histoires de sévices qu’elles ont vécues, excitant ainsi l’imagination des Seigneurs, qui vont les faire subir à leurs esclaves.
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